QUI SUIS–JE ?
Une question d'identité
Lectures : Psaume 139, versets 1 à 18
Première
épître de Paul aux Corinthiens, chapitre 15, versets 8 à 10
Livre des Actes
des Apôtres, du chapitre 21, verset 37 au chapitre 22, verset10 et 24 à 29
Je pense
qu’il vous est arrivé à tous de vous trouver dans un certain groupe de
personnes et d’avoir à vous présenter. Généralement vous dites d’abord votre
nom, puis vous complétez par ce que vous voulez. Quoi que ce soit que vous
ajoutiez comme fonction, comme titre, comme détail généalogique ou biographique, tout cela ne fera apparaître
qu’un aspect de votre personne. Vous n’aurez montré qu’une image incomplète et
donc déformée de ce que vous êtes. Vous n’aurez dévoilé qu’une partie de la
réalité.
Mais en
fait, est-ce que nous arrivons à donner aux autres la vérité sur nous-mêmes et
à dire exactement qui nous sommes ? Par ailleurs, peut-on réellement se
connaître soi-même ? Peut-on vraiment répondre à la question : "Qui
suis-je ?" Voilà une interrogation non seulement intéressante, mais
très importante. Si nous y répondons correctement, nous acquerrons l’équilibre
qui nous est nécessaire sur la plan personnel. Nous commencerons à nous
connaître véritablement nous-mêmes.
Ce qui me
conduit à ce genre de pensées, c’est de constater combien de gens ne sont pas
bien dans leur peau, même des chrétiens. Ou ils ont l’air de jouer un rôle et
s’attribuent toutes sortes de prérogatives. Ou ils se découragent sur leur sort
et en arrivent à être désespérés d’eux-mêmes. Certains s’aiment trop eux-mêmes.
Ils sont comme ce personnage de la mythologie antique du nom de Narcisse. On
raconte, à son sujet, qu’un jour il s’était penché sur une fontaine. Il
découvrit que son visage, se reflétant à la surface de l’eau, était si beau qu’il
en tomba amoureux ! Amoureux de soi-même, est-ce que nous ne le sommes pas
tous plus ou moins ? Attention alors, car nous risquons de ne plus voir
que nous-mêmes et ainsi de nous couper de nos semblables pour finalement les
mépriser totalement.
D’autres, au contraire, se
trouvent si médiocres et si laids qu’ils se détestent eux-mêmes. Alors ils se
replient sur eux-mêmes. Leur personnalité s’appauvrit et s’étiole à l’extrême.
Ils sont bourrés de complexes et ne se trouvent jamais à la hauteur de la situation.
L’apôtre
Paul a exprimé une pensée très précieuse que je voudrais développer brièvement :
"Je suis ce que je suis." Mais,
en replaçant ces paroles dans leur contexte, il ne faut pas oublier ce qui
précède : "Par la grâce de Dieu, je suis ce que je
suis" (I Cor. 15. 10). Si l’apôtre avait omis le début de la phrase,
il aurait pu en tirer de la présomption. D’autant qu’il écrira à peine plus bas
qu’il a travaillé plus que tous les autres. Mais il s’empresse d’ajouter aussitôt :
"Non pas moi toutefois, mais la
grâce de Dieu." Ailleurs il
dira que cette grâce de Dieu, c’est "la
source de salut pour tous les hommes; cette grâce a été manifestée» en
Jésus-Christ. "Elle nous enseigne à
vivre dans la crainte de Dieu et d’une manière juste et sensée." (cf. Tite
2. 11-12)
Pour
revenir au texte de Paul, remarquons qu'il ne dit pas "je suis ce que
j’étais." Il n’emploie pas la forme du passé, justement à cause de la
grâce de Dieu. Il a eu son chemin de Damas. Il a rencontré Celui qui a changé
sa vie, qui l’a bouleversée. Il ne peut plus être ce qu’il était auparavant. Il
est en Christ, et pour celui qui est ainsi uni à Jésus, "les choses anciennes sont passées, voilà que tout est devenu
nouveau." (II Cor. 5. 17) Son péché a été effacé, sa culpabilité n’est
plus, il a été acquitté. *J’étais un
blasphémateur, dira-t-il, un
persécuteur, un homme violent, mais Dieu a eu pitié de moi." (I Tim.
1. 13)
Quel que
soit ce que tu as été autrefois, souviens-toi que Christ désire venir dans ta
vie. Il veut prendre sur lui ton fardeau parce qu'il est mort pour cela. Il a
donné sa vie pour te libérer. Oui, mais combien nous sommes encore encombrés
par notre passé ! Combien de souvenirs pèsent encore sur nos
consciences ! Combien de doutes remplissent encore nos esprits ! Et parfois
même, combien de blessures ne constate-t-on pas dans notre existence ! Pourtant
si la grâce a fait son œuvre, je ne suis donc plus ce que j’étais, "je suis ce que je suis."
Cependant Paul ne peut pas faire totale abstraction du
passé. Il ne peut pas dire : "Je suis qui je suis", car c’est
Dieu seul qui parle ainsi. Mais il utilise l’expression ce que qui a une
grande importance. L'apôtre pense donc qu’il est quelque chose. Qu'est-il ? Que
suis-je, devrait-on dire, et non pas qui suis-je. En effet, ce que je suis
aujourd’hui est fonction de tout ce que j’ai reçu et de tout ce que j’ai vécu. Je
ne peux pas renier mes origines, mes parents, mon hérédité, le fait que je sois
homme ou femme, fort ou faible, que j’aie un gros nez ou de grandes oreilles. De
même, je ne peux pas renier ma culture, mon époque, mon éducation, mon âge, mes
expériences, mes relations, mes biens, mes dons, mes aptitudes. Comme l’a écrit
le docteur Paul Tournier, l'un des pionniers de la médecine de la
personne : "Tout ce que nous avons ressenti et vécu dans le passé est
inscrit en nous et contribue à nous déterminer aujourd’hui." (Le
personnage et la personne, p. 55).
Ce médecin
chrétien racontait, dans l’une de ses nombreuses conférences, l’histoire du
philosophe et sociologue Edgar Morin. Ce dernier perd sa mère quand il est
encore enfant. Il voit son père se remarier et il garde de bonnes relations
avec lui. Il s’entend bien aussi avec sa belle-mère. Un jour qu’il est en
voyage pour un Congrès en Californie, il comprend que son père est un peu
cafardeux. Alors il l’invite à le rejoindre à son hôtel. Son père s’apprête à
venir, accompagné de son épouse. Morin se réjouit bien, mais il éprouve en même
temps une certaine angoisse inexplicable. La nuit avant l’arrivée de son père et
de sa belle-mère, il rêve du retour de sa propre mère. "Je suis dans la
rue à Paris, écrira Morin plus tard, et je dois partir en vacances… J’apprends
soudain, je ne sais comment, que ma mère est revenue. Cette information est
d’abord anodine, mais elle s’enfle, elle devient bouleversante. Je me mets
alors à courir. Je pense : ‘Je vais vite dire à ma femme que je vais
passer la nuit chez ma mère. Elle comprendra.’ Je cours, je me hâte, je
m’affole et mon affolement me catapulte hors de mon sommeil. Encore dans la
lancée du rêve, mon cœur bondit et se précipite vers ma mère, tandis que se
précipite en moi la conscience cruelle, inexorable, que ce n’est qu’un rêve,
que ma mère est morte." Et le docteur Tournier de conclure : "Jusque
là, 48 ans après, Morin a toujours l’espoir du retour de sa mère et il est
malade chaque fois qu’il voit son père. Mais il découvre à travers un rêve que,
de fait, il n’a pas accepté la mort de sa mère, officiellement oui, mais pas
vraiment au fond de lui-même, dans son subconscient."
Non, nous
ne pouvons pas faire abstraction du passé. Mais nous ne devons pas plus vanter
ses aspects positifs. L’apôtre Paul écrit, en ce qui concerne son passé : "Ce qui était pour moi un gain, je l’ai
considéré comme une perte, à cause de Christ." (Phil. 3.7) Et il ne se
vante pas de ce qu’il peut posséder, considérant qu’il l’a reçu. (cf. I Cor. 4.
7) C’est par la grâce de Dieu qu’il a ce qu’il a, de même qu’il est ce qu’il
est. Comme il croit fermement que le Seigneur avait un plan pour lui "dès le sein de sa mère" (Gal.
1. 15), il reconnaît que c’est Lui qui l’a fait ainsi et qu’il est le Souverain
de sa vie maintenant, quelles que soient les circonstances qu'il a connues.
"Je suis ce que je suis."
Approfondissons encore un peu : si Paul ne parle pas au passé, il
n’emploie pas non plus le futur. Il ne dit pas : "Je suis ce que je
serai, ou, ce qui revient au même, je serai ce que je suis." Cela
impliquerait une personnalité complètement figée, un état sclérosé et incapable
d’évoluer. Là encore, il faut souligner l’œuvre de la grâce de Dieu. Beaucoup
de chrétiens prennent notre texte comme indiquant un statu quo, une manière
d’être immuable : Je suis ainsi, vous ne pourrez pas me changer, il faut
me prendre tel que vous me voyez, car je suis ce que je suis ! Croyez-vous
véritablement que rien ne peut bouger en ce qui vous concerne, que rien ne va
évoluer, ni même se transformer… par la grâce de Dieu ? Direz-vous
vraiment : Je serai toujours comme je suis maintenant ? Mais l’apôtre
vit autre chose : chaque jour, chaque instant, il devient ce que Dieu le
fait. Sa personne se renouvelle par le Saint-Esprit, l’Esprit de vie.
Jésus-Christ le façonne sans cesse et toujours mieux. C’est pourquoi il
s’exprime au présent, et continuellement il peut dire : Je suis ce que je
suis.
Si la
question demeure : "Qui suis-je ?", je dirai, brièvement
pour terminer, qu’il y a trois moyens de se connaître soi-même. C’est ici le
lieu de rappeler la célèbre devise de Socrate, devise qu’il avait fait graver
sur le fronton du temple de Delphes : ΓΝΩΘΙ ΣΕΑΥΤΟΝ
"Connais-toi
toi-même !" Le grand philosophe a passé sa vie à essayer
de se connaître, de se découvrir. Il en est arrivé à la conclusion qu’il a osé
exprimer ainsi : "Je ne connais rien, si ce n’est que je ne connais
rien." En suivant sa méthode, on arrive au scepticisme et parfois, en
psychologie, un certain scepticisme peut avoir du bon. Mais attention, comme
l’a dit Paul Claudel, un écrivain français : "On se fausse en se
regardant." L’introspection n’est jamais bonne conseillère. En essayant de
se connaître soi-même, on arrive à la conclusion d’un autre philosophe plus
proche de nous, Friedrich Nietzsche, que "l’homme n’est plus que soi-même,
étranger à soi-même."
Il est vrai que parfois le Seigneur
utilise les autres pour nous faire voir plus clair en nous-mêmes. Il faut
accepter, d’une part, d’être remis en question. D’autre part, que les autres
puissent mettre en relief ce que nous ignorons, nos talents cachés, nos
valeurs, nos richesses propres, comme aussi, ce qui est plus difficile à
admettre, nos défauts ou nos carences. Il est toujours intéressant et utile
d’écouter ce que d’autres disent de nous. Le portrait qu’ils dressent de nous
peut nous aider sur le plan psychologique. Mais attention, pour les autres
aussi, nous demeurons impénétrables et certains aspects de nous-mêmes leur
resteront toujours cachés ou obscurs.
Par conséquent, la meilleure manière
de se connaître, c’est de se placer devant Dieu et devant le miroir de sa
Parole. Ecoutons une fois de plus l’apôtre Paul qui nous livre son
secret : "Pour moi, il
m’importe fort peu d’être jugé par vous… Je ne me juge pas non plus moi-même…
Celui qui me juge, c’est le Seigneur." (I Cor. 4. 3, 4) Il s’évalue
donc à la mesure de Dieu qui connaît tout de lui. Il se plie à sa connaissance,
à sa volonté et à sa souveraineté. Il ne fait alors ni complexe de supériorité
(moi, je suis mieux que les autres), ce qui le conduirait à l’orgueil, ni
complexe d’infériorité (moi, je ne suis rien), ce qui l’enfoncerait dans le
découragement et le désespoir.
Ainsi pour chacun, il est seulement possible
de se définir par rapport à Dieu, quand on fait référence à sa grâce et qu’on
se situe dans sa perspective, quand on peut dire, comme le psalmiste : "Je te loue de ce que je suis une
créature aussi merveilleuse." (Ps. 139. 14) La meilleure manière de se
connaître, c’est encore de se laisser sonder par lui. C’est de se lier à lui,
de s’attacher fortement à lui. Car c’est lui qui nous fait être véritablement
nous-mêmes.
En conclusion, pas de "Je suis" autonome, mais je suis, par ta grâce, ce que je suis. Je veux
être tout à TOI, car TOI, tu es
tout à moi et tu es tout pour moi.
Prédication du 2 mai 1982 à valence
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