dimanche 4 octobre 2015

PSYCHOLOGIE

QUI SUIS–JE ?

Une question d'identité


Lectures : Psaume 139, versets 1 à 18
            Première épître de Paul aux Corinthiens, chapitre 15, versets 8 à 10
            Livre des Actes des Apôtres, du chapitre 21, verset 37 au chapitre 22, verset10 et 24 à 29

            Je pense qu’il vous est arrivé à tous de vous trouver dans un certain groupe de personnes et d’avoir à vous présenter. Généralement vous dites d’abord votre nom, puis vous complétez par ce que vous voulez. Quoi que ce soit que vous ajoutiez comme fonction, comme titre, comme détail généalogique ou  biographique, tout cela ne fera apparaître qu’un aspect de votre personne. Vous n’aurez montré qu’une image incomplète et donc déformée de ce que vous êtes. Vous n’aurez dévoilé qu’une partie de la réalité.

            Mais en fait, est-ce que nous arrivons à donner aux autres la vérité sur nous-mêmes et à dire exactement qui nous sommes ? Par ailleurs, peut-on réellement se connaître soi-même ? Peut-on vraiment répondre à la question : "Qui suis-je ?" Voilà une interrogation non seulement intéressante, mais très importante. Si nous y répondons correctement, nous acquerrons l’équilibre qui nous est nécessaire sur la plan personnel. Nous commencerons à nous connaître véritablement nous-mêmes.

            Ce qui me conduit à ce genre de pensées, c’est de constater combien de gens ne sont pas bien dans leur peau, même des chrétiens. Ou ils ont l’air de jouer un rôle et s’attribuent toutes sortes de prérogatives. Ou ils se découragent sur leur sort et en arrivent à être désespérés d’eux-mêmes. Certains s’aiment trop eux-mêmes. Ils sont comme ce personnage de la mythologie antique du nom de Narcisse. On raconte, à son sujet, qu’un jour il s’était penché sur une fontaine. Il découvrit que son visage, se reflétant à la surface de l’eau, était si beau qu’il en tomba amoureux ! Amoureux de soi-même, est-ce que nous ne le sommes pas tous plus ou moins ? Attention alors, car nous risquons de ne plus voir que nous-mêmes et ainsi de nous couper de nos semblables pour finalement les mépriser totalement.

D’autres, au contraire, se trouvent si médiocres et si laids qu’ils se détestent eux-mêmes. Alors ils se replient sur eux-mêmes. Leur personnalité s’appauvrit et s’étiole à l’extrême. Ils sont bourrés de complexes et ne se trouvent jamais à la hauteur de la situation.

            L’apôtre Paul a exprimé une pensée très précieuse que je voudrais développer brièvement : "Je suis ce que je suis." Mais, en replaçant ces paroles dans leur contexte, il ne faut pas oublier ce qui précède : "Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis" (I Cor. 15. 10). Si l’apôtre avait omis le début de la phrase, il aurait pu en tirer de la présomption. D’autant qu’il écrira à peine plus bas qu’il a travaillé plus que tous les autres. Mais il s’empresse d’ajouter aussitôt : "Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu."  Ailleurs il dira que cette grâce de Dieu, c’est "la source de salut pour tous les hommes; cette grâce a été manifestée» en Jésus-Christ. "Elle nous enseigne à vivre dans la crainte de Dieu et d’une manière juste et sensée." (cf. Tite 2. 11-12)

            Pour revenir au texte de Paul, remarquons qu'il ne dit pas "je suis ce que j’étais." Il n’emploie pas la forme du passé, justement à cause de la grâce de Dieu. Il a eu son chemin de Damas. Il a rencontré Celui qui a changé sa vie, qui l’a bouleversée. Il ne peut plus être ce qu’il était auparavant. Il est en Christ, et pour celui qui est ainsi uni à Jésus, "les choses anciennes sont passées, voilà que tout est devenu nouveau." (II Cor. 5. 17) Son péché a été effacé, sa culpabilité n’est plus, il a été acquitté. *J’étais un blasphémateur, dira-t-il, un persécuteur, un homme violent, mais Dieu a eu pitié de moi." (I Tim. 1. 13)

            Quel que soit ce que tu as été autrefois, souviens-toi que Christ désire venir dans ta vie. Il veut prendre sur lui ton fardeau parce qu'il est mort pour cela. Il a donné sa vie pour te libérer. Oui, mais combien nous sommes encore encombrés par notre passé ! Combien de souvenirs pèsent encore sur nos consciences ! Combien de doutes remplissent encore nos esprits ! Et parfois même, combien de blessures ne constate-t-on pas dans notre existence ! Pourtant si la grâce a fait son œuvre, je ne suis donc plus ce que j’étais, "je suis ce que je suis."

Cependant Paul ne peut pas faire totale abstraction du passé. Il ne peut pas dire : "Je suis qui je suis", car c’est Dieu seul qui parle ainsi. Mais il utilise l’expression ce que  qui a une grande importance. L'apôtre pense donc qu’il est quelque chose. Qu'est-il ? Que suis-je, devrait-on dire, et non pas qui suis-je. En effet, ce que je suis aujourd’hui est fonction de tout ce que j’ai reçu et de tout ce que j’ai vécu. Je ne peux pas renier mes origines, mes parents, mon hérédité, le fait que je sois homme ou femme, fort ou faible, que j’aie un gros nez ou de grandes oreilles. De même, je ne peux pas renier ma culture, mon époque, mon éducation, mon âge, mes expériences, mes relations, mes biens, mes dons, mes aptitudes. Comme l’a écrit le docteur Paul Tournier, l'un des pionniers de la médecine de la personne : "Tout ce que nous avons ressenti et vécu dans le passé est inscrit en nous et contribue à nous déterminer aujourd’hui." (Le personnage et la personne, p. 55).

            Ce médecin chrétien racontait, dans l’une de ses nombreuses conférences, l’histoire du philosophe et sociologue Edgar Morin. Ce dernier perd sa mère quand il est encore enfant. Il voit son père se remarier et il garde de bonnes relations avec lui. Il s’entend bien aussi avec sa belle-mère. Un jour qu’il est en voyage pour un Congrès en Californie, il comprend que son père est un peu cafardeux. Alors il l’invite à le rejoindre à son hôtel. Son père s’apprête à venir, accompagné de son épouse. Morin se réjouit bien, mais il éprouve en même temps une certaine angoisse inexplicable. La nuit avant l’arrivée de son père et de sa belle-mère, il rêve du retour de sa propre mère. "Je suis dans la rue à Paris, écrira Morin plus tard, et je dois partir en vacances… J’apprends soudain, je ne sais comment, que ma mère est revenue. Cette information est d’abord anodine, mais elle s’enfle, elle devient bouleversante. Je me mets alors à courir. Je pense : ‘Je vais vite dire à ma femme que je vais passer la nuit chez ma mère. Elle comprendra.’ Je cours, je me hâte, je m’affole et mon affolement me catapulte hors de mon sommeil. Encore dans la lancée du rêve, mon cœur bondit et se précipite vers ma mère, tandis que se précipite en moi la conscience cruelle, inexorable, que ce n’est qu’un rêve, que ma mère est morte." Et le docteur Tournier de conclure : "Jusque là, 48 ans après, Morin a toujours l’espoir du retour de sa mère et il est malade chaque fois qu’il voit son père. Mais il découvre à travers un rêve que, de fait, il n’a pas accepté la mort de sa mère, officiellement oui, mais pas vraiment au fond de lui-même, dans son subconscient."

            Non, nous ne pouvons pas faire abstraction du passé. Mais nous ne devons pas plus vanter ses aspects positifs. L’apôtre Paul écrit, en ce qui concerne son passé : "Ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte, à cause de Christ." (Phil. 3.7) Et il ne se vante pas de ce qu’il peut posséder, considérant qu’il l’a reçu. (cf. I Cor. 4. 7) C’est par la grâce de Dieu qu’il a ce qu’il a, de même qu’il est ce qu’il est. Comme il croit fermement que le Seigneur avait un plan pour lui "dès le sein de sa mère" (Gal. 1. 15), il reconnaît que c’est Lui qui l’a fait ainsi et qu’il est le Souverain de sa vie maintenant, quelles que soient les circonstances qu'il a connues.

            "Je suis ce que je suis." Approfondissons encore un peu : si Paul ne parle pas au passé, il n’emploie pas non plus le futur. Il ne dit pas : "Je suis ce que je serai, ou, ce qui revient au même, je serai ce que je suis." Cela impliquerait une personnalité complètement figée, un état sclérosé et incapable d’évoluer. Là encore, il faut souligner l’œuvre de la grâce de Dieu. Beaucoup de chrétiens prennent notre texte comme indiquant un statu quo, une manière d’être immuable : Je suis ainsi, vous ne pourrez pas me changer, il faut me prendre tel que vous me voyez, car je suis ce que je suis ! Croyez-vous véritablement que rien ne peut bouger en ce qui vous concerne, que rien ne va évoluer, ni même se transformer… par la grâce de Dieu ? Direz-vous vraiment : Je serai toujours comme je suis maintenant ? Mais l’apôtre vit autre chose : chaque jour, chaque instant, il devient ce que Dieu le fait. Sa personne se renouvelle par le Saint-Esprit, l’Esprit de vie. Jésus-Christ le façonne sans cesse et toujours mieux. C’est pourquoi il s’exprime au présent, et continuellement il peut dire : Je suis ce que je suis.

            Si la question demeure : "Qui suis-je ?", je dirai, brièvement pour terminer, qu’il y a trois moyens de se connaître soi-même. C’est ici le lieu de rappeler la célèbre devise de Socrate, devise qu’il avait fait graver sur le fronton du temple de Delphes : ΓΝΩΘΙ ΣΕΑΥΤΟΝ "Connais-toi toi-même !"  Le grand philosophe a passé sa vie à essayer de se connaître, de se découvrir. Il en est arrivé à la conclusion qu’il a osé exprimer ainsi : "Je ne connais rien, si ce n’est que je ne connais rien." En suivant sa méthode, on arrive au scepticisme et parfois, en psychologie, un certain scepticisme peut avoir du bon. Mais attention, comme l’a dit Paul Claudel, un écrivain français : "On se fausse en se regardant." L’introspection n’est jamais bonne conseillère. En essayant de se connaître soi-même, on arrive à la conclusion d’un autre philosophe plus proche de nous, Friedrich Nietzsche, que "l’homme n’est plus que soi-même, étranger à soi-même."

            Il est vrai que parfois le Seigneur utilise les autres pour nous faire voir plus clair en nous-mêmes. Il faut accepter, d’une part, d’être remis en question. D’autre part, que les autres puissent mettre en relief ce que nous ignorons, nos talents cachés, nos valeurs, nos richesses propres, comme aussi, ce qui est plus difficile à admettre, nos défauts ou nos carences. Il est toujours intéressant et utile d’écouter ce que d’autres disent de nous. Le portrait qu’ils dressent de nous peut nous aider sur le plan psychologique. Mais attention, pour les autres aussi, nous demeurons impénétrables et certains aspects de nous-mêmes leur resteront toujours cachés ou obscurs.

            Par conséquent, la meilleure manière de se connaître, c’est de se placer devant Dieu et devant le miroir de sa Parole. Ecoutons une fois de plus l’apôtre Paul qui nous livre son secret : "Pour moi, il m’importe fort peu d’être jugé par vous… Je ne me juge pas non plus moi-même… Celui qui me juge, c’est le Seigneur." (I Cor. 4. 3, 4) Il s’évalue donc à la mesure de Dieu qui connaît tout de lui. Il se plie à sa connaissance, à sa volonté et à sa souveraineté. Il ne fait alors ni complexe de supériorité (moi, je suis mieux que les autres), ce qui le conduirait à l’orgueil, ni complexe d’infériorité (moi, je ne suis rien), ce qui l’enfoncerait dans le découragement et le désespoir.

             Ainsi pour chacun, il est seulement possible de se définir par rapport à Dieu, quand on fait référence à sa grâce et qu’on se situe dans sa perspective, quand on peut dire, comme le psalmiste : "Je te loue de ce que je suis une créature aussi merveilleuse." (Ps. 139. 14) La meilleure manière de se connaître, c’est encore de se laisser sonder par lui. C’est de se lier à lui, de s’attacher fortement à lui. Car c’est lui qui nous fait être véritablement nous-mêmes.

            En conclusion, pas de "Je suis" autonome, mais je suis, par ta grâce, ce que je suis. Je veux être tout à TOI, car TOI, tu es tout à moi et tu es tout pour moi.

Prédication du 2 mai 1982 à valence

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