jeudi 2 avril 2015

Les fêtes : VENDREDI-SAINT

Le sacrifice d'Abraham


Lectures : Livre de la Genèse, chapitre 22, versets 1 à 19
                        Epître aux Hébreux, chapitre 11, versets 17 à 19
                        Evangile selon Luc, chapitre 14, versets 25 à 33

            Nous avons, avec ce chapitre 22 de la Genèse, une des plus belles pages de la Bible. En même temps, c'est un des plus célèbres textes de la littérature universelle, un des plus denses, des plus pathétiques, des plus tragiques. Moïse, ce grand écrivain, a su, en quelques phrases courtes, avec quelques termes choisis et évocateurs, nous faire pénétrer dans l'un des plus grands drames qui se soient joués dans l'histoire des humains, drame familial, drame psychologique, drame religieux. A la fin, l'ange du Seigneur peut dire à Abraham : "Maintenant, je sais que tu crains Dieu, que tu respectes mon autorité, puisque tu n'as pas refusé ton fils, ton unique" (v. 12). Et c'est bien là le cœur du récit.

            Pourtant la vie d'Abraham n'avait pas été de tout repos. Les mots "Après cela" placé en tête de la narration, résument tout ce que le Patriarche avait connu : l'émigration, la vie nomade, la famine qui le contraignit à s'exiler en Egypte. Par deux fois, sa femme, lui avait été ravie par des infidèles. Son neveu Lot s'était séparé de lui et pour voler à son secours, il avait risqué sa vie. Ayant reçu la promesse d'une descendance, il était arrivé à quatre-vingt-dix-neuf ans sans que Sara, presque aussi âgée que lui, ne lui ait donné le fils attendu. Il fut contraint de chasser Ismaël, l'enfant qu'il avait eu par sa servante, et de la déshériter. Finalement, Isaac était né, source, pour lui, de consolation et gage de l'accomplissement de la promesse. Un peu de calme et de tranquillité entrent dans sa vie.

            Et tout à coup, la voix de Dieu : "Abraham !" Est-ce le coup de tonnerre dans un ciel bleu ? N'est-ce pas plutôt l'expression touchante, mais d'abord incompréhensible de l'amour de  Dieu ? L'apôtre Paul a parlé de la folie de Dieu à propos d'un autre drame qui se déroula quelque deux mille ans plus tard et dont ce récit n'est que l'ombre prophétique. Nous y reviendrons.

            Mais dans toute vie de croyant, il y a de la folie car, reconnaissez-le, la foi, surtout lorsqu'elle est épurée, étirée jusqu'à son extrême limite, c'est bien quelque chose de déraisonnable, d'irrationnel. Cependant  le grand apôtre a ajouté : "Ce qui est fou chez Dieu est finalement plus sage que les hommes" (I Cor. 1. 25).

            Si Dieu met Abraham à l'épreuve, il ne veut pas l'inciter à pécher, comme ferait le diable, mais ll veut tester sa foi. Il ne va pas permettre que l'épreuve qu'il lui fait subir dépasse la résistance de son serviteur. Au contraire, il va lui donner la force de la surmonter (Cf. I Cor. 10. 13).

            En fait, c'est un sacrifice que le Seigneur exige de lui, le sacrifice de ce qu'il a de plus cher. Il lui demande d'entrer dans un trou noir pour qu'il aperçoive bientôt une grande lumière. Il lui demande d'obéir inconditionnellement, pour pouvoir le bénir incommensurablement.

            De prime abord, nous ne voyons pas où le Seigneur veut en venir, quand il nous fait connaître ses exigences. Mais lui a son plan et il fera tout concourir à notre bien. Si c'est de lui que vient une parole, alors je lui fait confiance, je ne discute pas.        En réalité beaucoup de gens aujourd'hui ne font pas confiance à Dieu. Il vivent dans l'incertitude, dans l'ingratitude, si ce n'est pas quelquefois dans le désespoir.

            "Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes et offre-le-moi en sacrifice..." (v. 2). Par ces mots, Dieu va toucher son ami à des points très sensibles :
  ton fils : Dieu mets sur la balance ce qui est  le plus fort chez les humains, les liens du sang, les relations familiales;
  ton unique : c'est une dépossession complète, personne pour le remplacer, apparemment pas de solution de rechange, Isaac disparu, il ne restera plus rien;
  celui que tu aimes : ici le Seigneur pénètre dans le domaine des relations affectives. L'amour est une belle et bonne chose. Alors pourquoi ravir l'objet, même légitime, de son affection;
  Isaac : nom tiré du verbe rire, parce qu'il est celui qui a provoqué l'hilarité et l'étonnement de tous, alors qu'Abraham et Sara étaient déjà "usés" par l'âge. Isaac, le témoignage public de la fidélité de Dieu, le signe de l'authenticité de ses paroles et de son amour.

            Oui, Dieu demande un sacrifice, mais c'est pour rendre beaucoup plus, pour donner beaucoup mieux. Il veut nous apprendre à donner et ce que nous pourrons lui offrir sera l'expression de notre foi, de notre attachement à lui plus fort qu'à personne d'autre sur la terre. Ce sera l'expression de notre amour.

            A cet appel au sacrifice, à cette mise à l'épreuve, Abraham répond "par la foi" (Héb. 11. 17). Une foi prompte et décidée, exprimée par les mots : "Il se leva de bon matin" (v. 3). Une foi persévérante : trois jours de marche avec les questions embarrassantes de son fils. Une foi insensée : "il dit à ses jeunes serviteurs : Nous reviendrons auprès de vous" (v. 5).

            Abraham croit à la résurrection, il croit au printemps après l'hiver, à la flamme jaillissant d'un feu éteint, à la vie contre la mort. Mais Abraham aime aussi le Seigneur de tout son cœur. A la folie apparente  de Dieu, il répond par une confiance totale. Pour moi, souvent aussi, les voies et les pensées de Dieu me dépassent, je suis un homme limité dans sa compréhension, je suis misérable, je ne suis rien... Et pourtant , Seigneur, je suis ton serviteur; je veux l'être, même s'il me faut marcher les yeux clos. Je crois que tu pourvoiras, même si présentement je me sens démuni. Je crois que dans mon dénuement même, tu vas te manifester. Alors que je ne discerne plus rien, c'est toi-même qui te feras voir selon ta parole : "A la montagne du Seigneur, il sera vu" (traduction littérale du v. 14).

            Abraham est à l'apogée de sa foi. Elle ne trébuche pas comme dans le passé. Elle ne s'arrête pas, elle ne bute pas. Il gravit la montagne jusqu'au bout, il construit l'autel, il ligote son fils, il brandit le couteau... jusqu'au moment où du ciel il est interpelé une seconde fois : "Abraham, Abraham"... jusqu'au moment où le Seigneur lui montre comment tout cela va finir. Comment lui, le Seigneur, a tout prévu, comment il a pourvu, comment il va mettre fin à l'épreuve.

            Est-ce qu'elle n'est pas belle, cette deuxième voix, ce second appel, après le silence de la marche, après les pensées tourmentées, après les points d'interrogation ? C'est bien là l'aboutissement du projet de Dieu. Là où il veut nous faire parvenir lorsqu'il nous fait cheminer par des parcours inconnus. L'épreuve qu'il nous envoie dans son amour n'a pas pour but de "casser" notre foi, mais au contraire de la fortifier, de l'affiner. Comme l'a si bien dit un commentateur, Dieu ne voulait pas le sang d'Isaac, mais il voulait le cœur d'Abraham.

            Avant de terminer, disons quelques mots d'Isaac justement. Il a porté le bois. Il a posé la question sur l'agneau du sacrifice. Mais la foi de son père a été communicative. Isaac ne s'est pas rebellé, il s'est laissé faire. Quelque part, il a aussi accepté le sacrifice. "Ils marchaient tous deux ensemble", cette phrase, reprise comme un refrain entre les questions qu'il ne fallait pas poser, est le signe de l'unité de vue entre le père et le fils, de l'unité de leur action.

            Tout ce récit, vous le comprenez, annonce avec une similitude remarquable l'œuvre de Jésus-Christ, son sacrifice suprême au pays de Moriya. Isaac est une figure prophétique choisie par Dieu. Elle nous permet de faire un rapprochement avec son descendant illustre immolé sur la croix, notre Seigneur Jésus-Christ. Comme lui, Jésus sera la victime muette sur le bois qu'il aura porté.  Il mourra non seulement "à la place d'Isaac," mais à la place de tous ceux qui regarderons à lui. D'autres parallèles frappants sont à remarquer, comme : Dieu "a donné son fils unique" (Jn 3. 16), celui qu'il appelle son "bien-aimé," en qui il a "mis toute [son] affection" (Mat. 3. 17). Dans la Genèse nous lisons : "Dieu dit à Abraham : Tu ne m'a pas épargné ton fils, ton unique" (v. 12). Nous trouvons dans le Nouveau Testament : "Il n'a pas épargné son propre fils, mais il l'a livré pour nous" (Rom. 8. 32). A la question d'Isaac "Où est l'agneau pour l'holocauste ? Son père répond : Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau" (vv. 7-8). Le Nouveau Testament présente Jésus comme "l'Agneau de Dieu... prédestiné avant la fondation du monde" (Jn. 1. 16, I Pi. 1. 19).  

            L'auteur de l'épître aux Hébreux, en parlant de la foi d'Abraham s'exprime  ainsi : "Dieu, se disait le patriarche, est puissant pour ressusciter des morts. Aussi, dans une sorte de préfiguration, il retrouva son fils" (11. 19). Vous le voyez, tout le récit est censé préfigurer la passion et la résurrection de Christ. Non, le Seigneur n'a pas voulu la mort d'Isaac. Il ne veut pas non plus les sacrifices d'enfants, comme les pratiquaient les peuples païens de l'Antiquité. Cela se déduit implicitement du récit. Mais il a seulement voulu tester la foi d'Abraham, ainsi que le montrent les premiers mots du texte : "Dieu mit Abraham à l'épreuve."

            Le Seigneur ne veut pas non plus la mort d'aucun d'entre nous. Il veut nous donner la vie. Dans son plan incompréhensible pour nous et dans son amour, il a pourvu, en la personne de Jésus, à l'Agneau qui est véritablement le Sauveur du monde.           
           
            A nous de l'accepter avec une confiance totale, avec une foi de la trempe de celle d'Abraham.   


Prédication du 23 février 1997 au Temple de Mérindol


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