Evangile de Jean 4. 27-42
Nous nous sommes déjà entretenus
deux fois de cette rencontre de Jésus avec la Samaritaine au puits de Sychar.
Souvenez-vous de cette parole de Jésus à cette inconnue : "Donne-moi
à boire !" En
méditant ce texte, nous en avions conclu qu’avant de donner à boire au
monde qui a soif, il valait mieux commencer par dire au Seigneur, comme cette
femme, "Donne-moi toi-même d’abord l’eau vive dont j’ai besoin." De
même dans une autre émission, à cette question : "Faut-il adorer sur le
mont Garizim ou à Jérusalem ?" nous avions répondu que le vrai culte
est avant tout d’adorer le Père en esprit et en vérité.
Aujourd’hui je voudrais relever un
geste de la Samaritaine, geste qui parle peut-être plus que toutes les paroles
qu’elle a pu prononcer. Pourtant chacun de ses propos à Jésus nous a déjà fait
découvrir la beauté et la grandeur de son âme. Elle a parlé avec son cœur dans
une grande simplicité et très sincèrement. Elle a dévoilé ses besoins spirituels.
Et voici qu’un seul geste va nous faire découvrir sa foi naissante, mais déjà profonde
et bien vivante.
Après un moment d'entretien, "La
femme laissa donc sa cruche…" (Voir Évangile selon Jean,
chapitre 4, versets 27 à 42). Pourquoi cela ? Que peut bien signifier
cette attitude ? Pour une femme qui vient puiser de l’eau, c’est quelque
chose d’inhabituel que de laisser son récipient au puits et de repartir les
mains vides. Très souvent en Afrique j’ai vu des femmes se rendre à quelque
distance d’un village pour chercher l’eau si nécessaire à la vie. Là-bas, on a
l’habitude de porter toutes les charges sur la tête et on met l’eau dans de
grands "canaris", des récipients de terre de forme presque ronde, ou
alors de plus en plus fréquemment maintenant dans des seaux métalliques ou en
plastic. Mais je n’ai jamais vu une femme, partie à la rivière ou au marigot,
revenir sans sa précieuse provision.
C’est pourquoi, ce geste insolite de
la Samaritaine m’a intrigué et, en y réfléchissant, j’ai pensé qu’il y avait là
matière à méditation et je voudrais vous en faire part simplement. Pourquoi
cette femme a-t-elle laissé sa cruche ? J’y vois au moins trois réponses
possibles.
Tout d’abord, cette femme a une
juste appréciation des valeurs. Notre monde est rempli de choses matérielles et
de choses spirituelles. Notre être aussi a un extérieur et un intérieur et nos
besoins sont autant matériels que spirituels. Mais qu’est-ce qui est le plus
important ? Notre "homme extérieur", qui de jour en jour se
détériore, comme le dit l’apôtre Paul ? Ou est-ce notre "homme
intérieur" qui a la capacité de changer ? En fait, il y a dans notre
existence des nécessités impérieuses. Il nous faut boire et manger, il nous
faut nous protéger contre les intempéries, il nous faut travailler. Nous devons
aussi laisser reposer notre corps et notre intellect. Ainsi nous prendrons des
moments de détente, car il ne faut pas tourmenter sans raison ce corps que Dieu
nous a donné.
Cependant nous apprendrons à
apprécier tout cela à sa juste valeur. Nous donnerons aux diverses occupations
de notre vie le temps et la place qui leur reviennent selon leur importance. La
Samaritaine nous donne un exemple. Elle est tellement prise par ce que Jésus
lui a dit qu’elle en oublie presque la tâche qu’elle était venue accomplir. Il
y a des affaires combien plus vitales qu’un peu d’eau, même dans un pays
chaud ! Il y a quelque chose de plus urgent que son travail. Il y a des
occasions qu’il ne faut pas rater. Il faut les saisir quand elles se
présentent, faute de quoi on passe à côté de l’essentiel.
Chez cette femme les valeurs d'un monde invisible commencent à passer
avant les valeurs physiques et concrètes. Elle en a une juste appréciation. Son
repas, sa lessive, ses nettoyages, que sais-je encore, tout attendra. Il faut
en premier lieu qu’elle tire le maximum de cet entretien qu’elle vient d’avoir
avec cet homme qui est là devant elle, et dont elle perçoit de plus en plus la
grandeur. Elle le considère comme si sympathique, si attirant, ce qu’il lui a
dit a tellement bouleversé son cœur, et déjà sa vie, qu’elle veut profiter de
tout ce qu’il lui a dit et surtout de sa présence. En effet, si elle laisse sa
cruche, c’est pour revenir auprès de lui. Sa foi est déjà suffisamment avancée
pour comprendre tous les bienfaits et tous les avantages d’une communication
prioritaire avec le Sauveur.
Et nous, chers amis ? Quelle
leçon allons-nous apprendre ? Dans la vie actuelle, où même les loisirs
entrent dans le programme hebdomadaire et préoccupent notre société, quelle
place et quelle importance donnons-nous aux valeurs spirituelles ?
Savons-nous "laisser notre cruche", nos soucis, nos travaux
quotidiens, notre télé ? Qu’est-ce qu’un peu d’eau dans une cruche en
regard de l’eau vive de notre Seigneur ? Lui-même, encore adolescent, avait
délaissé le gros des pèlerins, et même ses parents, venus à Jérusalem pour la
fête de la Pâque. Trois jours plus tard, Joseph et Marie, qui l'ont cherché
partout, le retrouvent dans le temple. Il est en train de s'instruire auprès de
ceux qui détiennent les secrets de la loi. Sa mère, étonnée, l'interroge
alors : "Mon enfant, pourquoi
as-tu agi ainsi avec nous ?", il répond : "Ne savez-vous pas qu’il
faut que je m’occupe des affaires de mon Père ?" (Luc 2.
49). Il nous faut ressembler à notre Seigneur bien-aimé. Juste après le départ de la Samaritaine, il
s'adressera ainsi à ses disciples : "J’ai à manger une
nourriture que vous ne connaissez pas… Ma nourriture est de faire la volonté de
celui qui m’a envoyé et d’achever son œuvre" (vv 33-34). La
Samaritaine ressemblait à son Maître.
Elle veut aussi faire la volonté du
Seigneur. C'est ainsi qu'on peut donner à son geste encore une autre
signification : Laisser sa cruche témoigne de son désir d’obéir à Jésus. "Va,
lui avait-il dit, appelle ton mari et reviens ici !" Mais
comment obéir à un tel ordre ? "Je n’ai pas de mari." Quelle
cruelle vérité ! Et pourtant il m’a dit de partir. Eh ! bien je m’en
vais… Appeler mon mari ?... Ah ! oui, il sait que j’en ai eu cinq,
plus mon compagnon de maintenant, ça fait six. Et si je les appelais tous les
six ? Est-ce que je vais m’en sortir ? Après tout, il m’a dit d’aller.
Et c’est là l’essentiel. On verra bien. Essayons de nous la représenter
arrivant au village… A-t-elle crié, a-t-elle été de porte en porte, peu
importe. Maintenant tout le village est au courant.
Entendre les ordres du Seigneur,
comprendre sa volonté n’est pas tellement difficile. Obéir, voilà qui l’est
beaucoup plus. C’est ce qui nous coûte. Abraham entendit le Seigneur lui dire :
"Va, quitte ton pays… "
(Gen. 12 1)."Et Abraham partit, sans savoir où il allait…" nous dit l'épître aux Hébreux (11. 8).
Voilà l’obéissance. Plus tard, quand Dieu lui demanda de sacrifier son fils sur
la montagne, il partit encore par la foi, sans connaître les détails de la
suite. Et Dieu a béni son obéissance jusqu’à l’infini.
Le Seigneur Jésus lui-même a aussi
obéi jusqu’au bout. Il y a même à son sujet une parole étonnante : "Il
a appris l’obéissance par les choses qu’il a souffertes" (Héb. 5. 8). Un
psaume nous informe qu'en entrant dans le monde, le Messie peut dire : "Faire
ta volonté, ô mon Dieu, me plaît !" (Ps. 40. 9). Nous savons que sa soumission l’a conduit jusqu’à
la croix. Car obéir à celui qui l’avait envoyé, c'était aller jusqu'à donner sa
vie pour le monde. Quel amour pour son Père ! Mais aussi quel amour pour
nous ! En fait l’obéissance à Dieu révèle aussi notre amour pour lui.
Quant à la Samaritaine, quitter le puits, quitter le personnage qu’elle vient
de découvrir, laisser sa cruche, tout cela montre son obéissance, sa foi et
déjà son amour.
Enfin je vois dans son geste un
dernier enseignement pour nous ce matin. Revenons au texte du récit : "La
femme, ayant laissé sa cruche, s’en alla dans la ville dire aux gens :
Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-ce pas le
Christ ?" (v. 29). Elle a donc envie de parler de la rencontre
extraordinaire qu’elle vient de faire. Elle désire rendre témoignage de sa
découverte. Dans sa simplicité, elle est allée informer son entourage de ce
qu’elle venait d’expérimenter, de ce qu’elle savait de Jésus, de ce qu’elle
pensait de lui. Elle n’a pas attendu d’avoir plus de connaissance, d’avoir
étudié la théologie, non ! Elle a laissé sa cruche pour s’adresser aux
gens de son village. Elle les a tous invités à venir voir d’eux-mêmes, à venir
à Jésus, le Messie. Et nous, qu’attendons-nous pour aller dire à ceux qui nous
entourent : "Venez voir !" Pourquoi sommes-nous si timides
pour parler de notre Sauveur, pour dire ce qu’il a fait pour nous.
Que le Seigneur nous interpelle maintenant
! Un simple geste "La femme laissa donc sa cruche", mais
quelles conséquences ! Quel résultat ! Quand Jésus voit tous les gens
du village s’approcher de lui, il dit à ses disciples : "Levez les
yeux et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson" (v.
35). Et quelle moisson ! On peut un peu rêver ce matin pour notre
situation ici et maintenant. Mais il nous suffit d’un simple geste, d’un
sacrifice. Laissons donc aussi notre cruche et mettons-nous en route ! Que le
Seigneur nous y aide !
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