Aux sources du protestantisme
Exposé fait à Porto Vecchio le 5 novembre 2005
I. La réforme de Luther
On s'accorde généralement pour faire du 31
octobre 1517 le début de la Réforme. Ce jour-là, le prêtre de l'Eglise du
Château à Wittenberg, en Saxe, affichait à la porte de l'Eglise 95 thèses pour
dénoncer le système des indulgences. Le lendemain, jour de la Toussaint, les
pèlerins allaient venir nombreux vénérer les reliques de la cathédrale et
recevoir des indulgences en retour et c'est pourquoi le prêtre qui avait pour
nom Martin Luther, avait choisi ce jour.
Selon l'Eglise romaine, "une indulgence est
le pardon, donné par elle, des peines temporelles qui sont notre lot ici-bas ou
dans le purgatoire, après avoir reçu le pardon de nos péchés." Voici, en
exemple, quelques-unes des 95 thèses de Luther :
La sixième : Le Pape ne peut remettre
aucune peine autrement qu'en déclarant et en confirmant que Dieu l'a remise.
La vingt-septième : Ils prêchent des inventions humaines, ceux qui
prétendent qu'aussitôt que l'argent résonne dans leur caisse, l'âme s'envole du
purgatoire.
La trente-sixième : Tout chrétien vraiment contrit a droit à la
rémission entière de la peine et du péché, même sans lettre d'indulgence.
La
cinquantième : Il faut enseigner aux chrétiens que si le pape connaissait
les exactions des prédicateurs d'indulgences, il préférerait voir la basilique
de Saint-Pierre réduite en cendres plutôt qu'édifiée avec la chair, le sang et
les os de ses brebis.
La
soixante-deuxième : Le véritable trésor de l'Église c'est le très
saint Évangile de la gloire et de la
grâce de Dieu.
En quelques
jours ces thèses vont être traduites du
latin dans la langue populaire, et se répandre comme une traînée de poudre dans
tous les pays d'Europe. Elles allaient déclencher l'un des plus grands Réveils
que l'Église ait connus : la Réformation.
Pour être concret, j'ai pensé qu'il serait bon
qu'aujourd'hui, dans un premier temps, nous essayions de comprendre comment le moine
Luther est parvenu au message fondamental de la Réforme : La justification par
la foi. En étudiant l'épître aux Romains il n'arrive pas à comprendre ce texte,
au verset 17 du chapitre 1 : ″Le juste vivra par la foi.″ Il connaît beaucoup de luttes jusqu'à ce qu'il ait compris que la justice
de Dieu n'est pas celle qui condamne le pécheur, mais celle qui le libère en
Jésus-Christ. Luther, rappelons-le, s'était fait moine, croyant ainsi apaiser
sa conscience. "Je gardais jour et nuit, écrit-il, avec le plus grand zèle et la
plus grande fidélité le vœu que j'avais fait. Et malgré cela, je n'avais pas de
paix, car toutes les consolations que je tirais de ma propre justice étaient
sans effet… Des doutes continuels pesaient sur ma conscience, et je me demandais : Qui sait si cela plaît à Dieu, si
cela lui est acceptable ou non ?... Même dans mes moments de plus grande
ferveur, je m'approchais de l'autel le cœur rempli de doutes et je m'en
éloignais de même. Je me confessais, mais je doutais encore; je cessais de
prier, je doutais toujours. Nous étions nourris de la conviction que nous ne
pouvions ni prier, ni être exaucés à moins d'être entièrement purs, sans péché
et semblables aux anges du ciel."
C'est alors - et ceci est très important - que
Luther rencontra Jean Staupitz, vicaire général des Augustins de la Thuringe.
Staupitz était en avance sur son époque en ce qui concerne les vérités
chrétiennes et c'est dans ce nouvel ami que Luther trouva un guide spirituel de
la plus haute valeur. "C'est en vain, disait le jeune moine, que je fais toujours de
belles promesses à Dieu, mais le péché l'emporte toujours. - Mon ami, lui
répondit le théologien le plus autorisé de
la communauté, j'ai juré plus de mille fois au Dieu saint de vivre
pieusement et je n'ai jamais pu tenir mon serment. Maintenant je n'ai plus
l'intention de refaire de serment semblable, car je sais que je ne le tiendrai
pas. Si Dieu refuse de me faire grâce pour l'amour du Christ, et de me donner
une mort bienheureuse quand il m'appellera à quitter ce monde, je n'oserai me
tenir devant lui malgré mes vœux et mes bonnes œuvres, et je périrai. Regarde
aux plaies de Jésus, au sang qu'il a versé pour toi : c'est là que tu trouveras
la grâce de Dieu. Au lieu de faire de toi un martyr pour expier tes péchés,
jette-toi dans les bras du Rédempteur. Confie-toi en lui, à la sainteté de sa
vie et au sacrifice qu'il a accompli sur la croix."
Luther se trouvait toujours au couvent quand une
lumière plus abondante pénétra son âme. Il écrira plus tard : "Quand je commençai à
méditer plus activement sur le sens de juste et justice de Dieu, dont la pensée
autrefois m'effrayait; quand je commençai à comprendre que la justice
acceptable aux yeux de Dieu n'est pas celle qui se révèle par les œuvres de la
loi, depuis cette époque, oh! combien mes sentiments changèrent ! Je me disais
: Si nous sommes justifiés par la foi, alors une telle conviction, loin
d'alarmer la timide conscience d'un pauvre pécheur, le soutiendra et le
consolera… J'avais le plus ardent désir de comprendre l'épître de Saint-Paul
aux Romains, mais j'étais toujours arrêté par ce mot de justice au chapitre
premier, où Paul dit que la justice de Dieu est révélée dans l'Evangile… Ma
conscience troublée me donnait des moments d'angoisse. Nuit et jour je
travaillais à comprendre l'idée de Saint-Paul.
Enfin j'arrivai à l'envisager
ainsi : par l'Evangile nous est révélée la justice qui prévaut devant Dieu, une
justice par laquelle Dieu dans sa grâce et sa bonté, nous justifie selon ce qui
est écrit : "Le juste vivra par la
foi." Aussitôt je me sentis né de nouveau. Il me semblait que les
portes du paradis venaient de s'ouvrir toutes grandes devant moi. J'envisageai
dès lors les saintes Écritures sous un jour tout nouveau. L'expression
"justice de Dieu", que je haïssais auparavant, me devint chère et
précieuse, elle fut pour moi la parole la plus consolante." (John Stoughton,
Martin Luther, pp. 69-70, 71, 72, 73).
Quant à la deuxième notion du texte des Romains,
la foi, le moyen par lequel on arrive à la justice, c'est-à-dire au salut,
rappelez-vous les paroles de Staupitz au jeune moine Martin : "Au lieu de faire de
toi un martyr pour expier tes péchés, jette-toi dans les bras de Rédempteur.
Confie-toi en lui, à la sainteté de sa vie et au sacrifice qu'il a accompli sur
la croix." La foi, c'est cet abandon au
Sauveur, cette confiance qu'il a tout accompli pour nous. La foi ce n'est pas
une adhésion à une église ou à un credo. La foi a un objet, Jésus-Christ. Elle
n'est pas indépendante de lui, de ce qu'il est venu faire sur la terre, de sa
vie donnée, de sa résurrection.
Croire en Jésus, c'est bel et bien reconnaître
que la peine, la punition du péché est tombée sur lui et, qu'à partir de là, je
peux recevoir la justice de celui qui est mort à ma place. Du même coup, je
n'ai plus à faire ni œuvres de quelque nature que ce soit, ni pénitence pour quoi que ce soit.
La foi seule suffit.
II. La Réforme en France
C'est ainsi que Lefèvre d'Etaples
(du Pas-de-Calais), autre humaniste éminent et professeur éclairé, enseignait la
philosophie et les lettres à Paris. Son ami Guillaume de Briçonnet, évêque de
Meaux en Brie, l'invita à son séminaire. Lefèvre se mit à étudier les
Ecritures. Dans un commentaire sur les épîtres de Saint-Paul, il affirmait
avant Luther "que la Bible
était le seul livre de vie et la règle pour les chrétiens, que la grâce était
l'unique source de salut, les œuvres n'étant que les signes de la foi.″ Ce sont là déjà les grands principes de la
Réforme. Il désapprouvait les prières en latin, le célibat des prêtres. Il
disait que la messe "n'est pas tant
un sacrifice réitéré qu'un acte de commémoration."
Cependant les idées réformistes de Lefèvre
d'Etaples sont combattues et il doit quitter Meaux. Il est protégé par la reine
Marguerite et il se réfugia chez elle dans sa résidence de Nérac dans le
Lot-et-Garonne où il mourut.
Le 1er novembre étant arrivé,
l'Université s'assemble en grande pompe dans l'Eglise des Mathurins. Plusieurs
se montrent impatients d'entendre Cop. N'a-t-il pas soutenu la reine Marguerite
de Navarre alors que les intégristes voulaient censurer un de ses poèmes, jugé
trop évangélique ? Tous les dignitaires, professeurs, étudiants avaient pris
place. Des théologiens chevronnés tendaient particulièrement l'oreille.
Nicolas Cop se leva et dit : "Messieurs, c'est une grande chose que la
philosophie chrétienne. C'est une chose trop excellente pour qu'aucune langue
ne puisse en exprimer la valeur et même qu'aucune pensée ne puisse la
concevoir. Donnée par Dieu à l'homme par l'intermédiaire de Jésus-Christ
lui-même, elle nous fait connaître ce vrai bonheur qui ne trompe personne. Elle
nous donne de croire et de comprendre que nous sommes vraiment fils de Dieu.
L'éclat de la splendeur de cette sagesse de Dieu éclipse toutes les lueurs de
la sagesse du monde. Elle rend ceux qui la possèdent aussi différents de la
multitude des autres hommes que cette multitude est différente des bêtes.
L'esprit de l'homme, ouvert et agrandi par la main divine, comprend alors des choses
infiniment plus sublimes que toutes celles qui sont connues de notre faible
humanité.
"Qu’elle
doit être admirable, qu'elle doit
être sainte, cette philosophie divine ! En effet, pour
l'apporter aux hommes, Dieu lui-même a voulu devenir homme. Pour nous
l'apprendre, l'immortel s'est fait mortel. Dieu pouvait-il mieux nous
manifester son amour qu'en nous donnant son Verbe éternel ? Quel lien plus
intime et plus ferme pouvait-il établir entre lui et nous ?
Inutile de prolonger pour vous ces paroles du
recteur de la Sorbonne. Après cette introduction, il parla du bonheur de ceux
qui sont pauvres spirituellement, de ceux qui sont affligés, de ceux qui ont
faim et soif de justice et même de ceux qui sont persécutés pour la
justice. Il était sorti des formules
conventionnelles. Il y avait dans son discours une simplicité et une vie qui
contrastaient avec la sécheresse et l'emphase des anciens docteurs. Il avait
osé mettre de côté tout ce qui n'était pas en rapport avec l'Evangile dans la
tradition de l'Église.
Mais ce discours, qu'il avait inspiré à Cop -
certains même disent qu'il le lui aurait écrit - renferme les principales
doctrines de la Réforme, tout ce que nous annonçons encore aujourd'hui. Et voici
ces vérités : 1°) L'Écriture sainte est notre seule autorité, elle est supérieure à la tradition et à notre
raison humaine. Elle est notre seule règle de foi et de conduite (sola scriptura). 2°) Le salut est
gratuit, il n'est donc dû qu'à la seule grâce de Dieu (sola
gratia). 3°) On reçoit ce salut
seulement si l'on met toute sa foi, sa confiance en Jésus-Christ, le fils de Marie,
seul intermédiaire entre Dieu et les hommes (sola fide).
III. LA REFORME EN SUISSE
Avant de terminer, il faut dire quelques mots de ce qui se passe à peu près à
la même époque du côté de la Suisse alémanique. Il y a là un admirateur
d'Erasme, Ulrich Zwingli (1484-1531) né à Wildhaus (Toggenburg). A 22
ans il est déjà prêtre à Glaris (1506-1516), puis prédicateur au couvent
d'Einsiedeln, deux petites localités de la Suisse centrale. Ses prédications
deviennent de plus en plus centrées sur la Bible, mais il ne rompt pas avec
l'Église. Plus tard il écrira "En 1516, c'est-à-dire à un moment où le nom de
Luther était inconnu dans nos contrées, j'ai commencé à prêcher l'Evangile de
Christ. J'ai appris la doctrine de Christ, non de Luther, mais de la Parole de
Dieu".
IV. La réforme radicale des
Anabaptistes
A Zurich, Conrad Grebel, un savant
lettré, Félix Manz, un hébraïsant distingué, sont dans le sillage de
Zwingli. Mais ils veulent une réforme plus "radicale". Ils refusent
l'immixtion de l'Etat dans les affaires religieuses et veulent une Église libre
de toute contrainte gouvernementale. Ils se séparent donc de leur maître et
organisent une communauté selon le modèle de l'Église primitive. Ils adoptent
le baptême des adultes qui se sont repentis et convertis après avoir accepté
par la foi Jésus comme Sauveur. Ils rebaptisent donc ceux qui l'ont été comme
enfants, d'où leur nom d'anabaptistes. Très rapidement ils se répandent en
Suisse, en Allemagne et en Bohème.
Leur attitude se caractérise par le refus du
serment à l'Etat et leur principe de la non-violence. Leur éthique est fondée
sur l'amour et ils désirent réaliser des "communautés saintes" dont
les membres soient parfaits (selon la parole du Christ dans le Sermon sur la
Montagne). Ils pratiquent le prophétisme se disant conduits par une "lumière
intérieure". Le Conseil de Zurich prit des mesures répressives contre eux.
Grebel mourut en prison, Manz fut noyé
dans la Limmat (″Par l'eau il a péché, par l'eau il sera puni !″) et partout où ils s'établirent ils furent persécutés aussi bien par les
catholiques que par les Luthériens.
Malheureusement un petit nombre d'entre leurs prophètes se mirent à annoncer la venue
prochaine du règne de mille ans et un certain Jean de Leyde crut l'établir à
Münster, en Westphalie. Son gouvernement sombra dans l'immoralité, les orgies,
la cruauté et le ridicule sous les coups de l'armée épiscopale. Mais un ancien
prêtre converti, Meno Simons (1492-1559), réussit par sa parole et ses
écrits pendant 25 ans et jusqu'à sa mort en 1559 à réorganiser les communautés
anabaptistes et à les ramener à leurs tendances primitives. En signe de reconnaissance
les fidèles prirent le nom de Mennonites.
Conclusion
1. Vous le voyez, dès le départ
le protestantisme est pluriel. J'aurais pu appeler cet exposé naissance des
protestantismes. Je ne l'ai pas fait parce que, quels que soient les hommes et
les doctrines, ils ont tous en commun les trois principes de la Réforme que
j'ai déjà mentionnés : sola scriptura l’Ecriture seule, sola gracia par la grâce seule, sola fide par la foi seule.
2. On a dit parfois que la
Réforme a engendré un retour à la Bible, mais avant tout c'est le retour à la
Bible qui a amené la Réforme. Même si l'on peut discerner d'autres causes à ce
grand mouvement, des causes politiques, sociales, morales, ce retour aux
sources en est la principale. La Réforme
fut d'abord un renouveau spirituel. Il est vrai aussi qu'un des premiers soucis des
Réformateurs fut de mettre la Bible entre toutes les mains dans la langue
du peuple. Luther traduisit le Nouveau Testament en 1922 et termina la
traduction de toute la Bible en 1534. Sa version est le premier monument de la
langue allemande classique. La Bible de Zurich, traduite par Zwingli, avait
paru en 1531. Dès 1523 Lefèvre d'Etaples publie sa version française du Nouveau
Testament et en 1528 l'Ancien Testament paraît à Anvers en 1528. Cette version
française est la mère des versions françaises. Olivétan, un cousin de Jean
Calvin, la reprend et, sur la base des manuscrits hébreu et grec fait paraître
à Neuchâtel sa traduction en 1535. Diversement révisée (par Martin, Ostervald)
elle a été en usage jusqu'à l'époque de mes grands-parents.
3. Nous avons donc un héritage
bien précieux. Nous avons à en être conscients et à le mettre en valeur en imitant la foi
de ceux qui nous ont précédés.
Pasteur André
Grandjean
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